Les 3 niveaux du débat
Je tiens d'abord à remercier l'anonyme créateur de ce blog, qui a bien voulu me laisser publier ce petit texte, de nature il est vrai non polémique.
Il me semble qu'il y a, à la lecture des divers textes, documents et lettres présents sur ce blog, 3 niveaux dans le débat portant sur la Bibliothèque des Lettres, ou 3 branches dans les revendications. 2 de ces niveaux seulement sont présents dans les productions des acteurs du débat. J'aimerais faire état de l'existence du 3e.
Le 1er niveau est le plus immédiat : il concerne l'opposition que les lecteurs et sympathisants de la Bibliothèque des Lettres, l'ENS et, encore plus généralement, la communauté des chercheurs, ont créée face à l'imposition d'un droit d'entrée à payer pour la Bibliothèque de l'ENS. Cette opposition s'exprime non seulement par les protestations des habitués de cet établissement, mais aussi par le Collectif de défense de la Bibliothèque des Lettres de l'ENS, collectif créé pour l'occasion et qui a manifestement pour seul but l'abrogation de la "taxe" susnommée. Tout cela en toute logique et opportunité. L'approbation massive des lecteurs de la Bibliothèque à cette démarche s'exprime par le nombre considérable de signatures apposées à la pétition que ce même collectif a fait circuler. Toutefois, la mission du Collectif est temporaire et limitée. J'ajoute qu'il serait de son devoir de s'assurer le plus fermement possible que l'initiative "fiscale" récente de la direction de l'ENS ne sortira pas par la porte pour rentrer par la fenêtre : il convient de se prémunir contre tout autre tentative de ce genre.
Le 2e niveau s'exprime plus particulièrement dans le texte de l'anonyme et très précise "petite note d'information", qui nous livre les détails des choix budgétaires de la direction de l'ENS. Cette petite note élargit le débat en montrant que la question du budget de la Bibliothèque n'est qu'un élément dans une politique financière plus large que la direction impose de fait grâce au soutien du Conseil d'Administration (CA), c'est-à-dire en fait des membres nommés du CA, contre lesquels le vote des membres élus n'a pas l'air de peser trop fort. Le problème posé n'est donc plus seulement celui de la Bibliothèque, mais plus largement des modes de "gouvernance", comme on dit maintenant, de l'établissement. Cette petite note met en cause directement Monique Canto-Sperber, ce que confirme de manière très ferme la lettre ouverte des Directeurs des départements littéraires de l'École : manque de concertation, votes "bâclés" au CA, opacité volontaire (refus de laisser transparaître le rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF)), etc. Ce 2e niveau est ainsi porté plus spécifiquement par les enseignants, bibliothécaires (Laure Léveillé a signé cette lettre ouverte) de l'ENS, ceux qui sont "dedans" et voient ce qui se passe très clairement. Il est fondamental, me semble-t-il, de les soutenir dans leur démarche, il en va, finalement, du mode de gouvernement de l'École : en clair, république participative (sauf que le "Président" est nommé et non élu) ou despotisme "éclairé" (lequel semble pour le moins avoir besoin de lumières).
Pour autant, cette 2e branche se limite elle aussi à une revendication conjoncturelle. En outre, pour éviter que le débat se limite à des oppositions personnelles, il convient de regarder un peu plus loin.
Le 3e niveau, du moins celui que j'entrevois, est plus général. Pour nous, enseignants-chercheurs, qui protestons si souvent contre l'évolution parfois dramatique des moyens de la recherche, il me semble qu'il faille saisir l'occasion d'élargir un tout petit peu nos horizons et de prendre l'occasion qui se présente ici. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, est un bref passage de la "petite note d'information", qui affirme l'existence d'une politique consciente de division des chercheurs, entre "scientifiques" d'un côté, et "littéraires" de l'autre. L'absence des chercheurs en philosophie, littérature, sciences humaines et sociales (ceux qu'on appelle les "littéraires") dans la médiatisation des revendications des chercheurs (notamment dans Sauvons La recherche) est peut-être due à la discrétion légendaire de ce groupe ; à la conscience d'avoir des besoins financiers moins élevés ; à leur préténdue faible "utilité" (car finalement et historiquement, ce qui a permis l'adhésion de la population aux revendications des chercheurs, c'est la parole médiatique des membres de l'INSERM et des chercheurs en physique et en biologie). Franchement, on peut toujours discuter sur la pertinence d'un partage des budgets qui lèse les uns sans pour autant satisfaire les autres... Et les besoins des chercheurs "littéraires" pourraient être sensiblement augmentés, si on était attentif à la possibilité de modernisation de leurs technologies (numérisation...) laquelle décuplerait leurs potentialités de recherche.
Les autorités cherchent peut-être à diviser les chercheurs et, à ce petit jeu, tout le monde est perdant. Ne conviendrait-il pas d'ouvrir la question et de mettre SLR dans le coup ? À une époque pré-électorale, c'est plutôt bien senti : demandons à chaque candidat ce qu'il compte faire pour la recherche et l'enseignement supérieur. Nicolas Sarkozy a déjà partiellement répondu dans le discours prononcé à Saint-Etienne le 9 novembre dernier : pour lui, il faut des universités autonomes et des chercheurs qui, comme Montagnier, puissent travailler jusqu'à 75 ans (les meilleurs d'entre eux seulement !). Ce n'est pas suffisant.
Pour rebondir sur cette idée des "universités autonomes" (financièrement, évidemment, c'est la seule chose qui compte...), regardons l'exemple de l'ENS, à la lumière de la "petite note" : à l'évidence, alors que la direction proposait des choix budgétaires douteux, le Ministère de tutelle n'a jamais reculé pour rallonger la manne financière. Dans une situation de financement par "fund raising" (ce qui n'a pas l'air de se mettre en place à l'ENS), cet effort aurait été peu probable. Quant à la question de l'indépendance d'une recherche financée par des organismes non publics, les chercheurs de SLR ont tout intérêt à y associer les "littéraires" : les domaines de la recherche "littéraire" ont en fin de compte des impacts très politiques, et il convient à tout prix de sauvegarder l'indépendance de ces recherches.
Pour conclure, le soutien des lecteurs de la bibliothèque ne doit pas obligatoirement se diriger sur un de ces domaines de revendication plutôt que sur l'autre. Soutenons les 3 niveaux de débat, et médiatisons nos désagréments et nos ambitions.
Annick Peters
MCF Histoire du Moyen Âge
A/L 93
Il me semble qu'il y a, à la lecture des divers textes, documents et lettres présents sur ce blog, 3 niveaux dans le débat portant sur la Bibliothèque des Lettres, ou 3 branches dans les revendications. 2 de ces niveaux seulement sont présents dans les productions des acteurs du débat. J'aimerais faire état de l'existence du 3e.
Le 1er niveau est le plus immédiat : il concerne l'opposition que les lecteurs et sympathisants de la Bibliothèque des Lettres, l'ENS et, encore plus généralement, la communauté des chercheurs, ont créée face à l'imposition d'un droit d'entrée à payer pour la Bibliothèque de l'ENS. Cette opposition s'exprime non seulement par les protestations des habitués de cet établissement, mais aussi par le Collectif de défense de la Bibliothèque des Lettres de l'ENS, collectif créé pour l'occasion et qui a manifestement pour seul but l'abrogation de la "taxe" susnommée. Tout cela en toute logique et opportunité. L'approbation massive des lecteurs de la Bibliothèque à cette démarche s'exprime par le nombre considérable de signatures apposées à la pétition que ce même collectif a fait circuler. Toutefois, la mission du Collectif est temporaire et limitée. J'ajoute qu'il serait de son devoir de s'assurer le plus fermement possible que l'initiative "fiscale" récente de la direction de l'ENS ne sortira pas par la porte pour rentrer par la fenêtre : il convient de se prémunir contre tout autre tentative de ce genre.
Le 2e niveau s'exprime plus particulièrement dans le texte de l'anonyme et très précise "petite note d'information", qui nous livre les détails des choix budgétaires de la direction de l'ENS. Cette petite note élargit le débat en montrant que la question du budget de la Bibliothèque n'est qu'un élément dans une politique financière plus large que la direction impose de fait grâce au soutien du Conseil d'Administration (CA), c'est-à-dire en fait des membres nommés du CA, contre lesquels le vote des membres élus n'a pas l'air de peser trop fort. Le problème posé n'est donc plus seulement celui de la Bibliothèque, mais plus largement des modes de "gouvernance", comme on dit maintenant, de l'établissement. Cette petite note met en cause directement Monique Canto-Sperber, ce que confirme de manière très ferme la lettre ouverte des Directeurs des départements littéraires de l'École : manque de concertation, votes "bâclés" au CA, opacité volontaire (refus de laisser transparaître le rapport de l'Inspection Générale des Finances (IGF)), etc. Ce 2e niveau est ainsi porté plus spécifiquement par les enseignants, bibliothécaires (Laure Léveillé a signé cette lettre ouverte) de l'ENS, ceux qui sont "dedans" et voient ce qui se passe très clairement. Il est fondamental, me semble-t-il, de les soutenir dans leur démarche, il en va, finalement, du mode de gouvernement de l'École : en clair, république participative (sauf que le "Président" est nommé et non élu) ou despotisme "éclairé" (lequel semble pour le moins avoir besoin de lumières).
Pour autant, cette 2e branche se limite elle aussi à une revendication conjoncturelle. En outre, pour éviter que le débat se limite à des oppositions personnelles, il convient de regarder un peu plus loin.
Le 3e niveau, du moins celui que j'entrevois, est plus général. Pour nous, enseignants-chercheurs, qui protestons si souvent contre l'évolution parfois dramatique des moyens de la recherche, il me semble qu'il faille saisir l'occasion d'élargir un tout petit peu nos horizons et de prendre l'occasion qui se présente ici. Ce qui m'a mis la puce à l'oreille, est un bref passage de la "petite note d'information", qui affirme l'existence d'une politique consciente de division des chercheurs, entre "scientifiques" d'un côté, et "littéraires" de l'autre. L'absence des chercheurs en philosophie, littérature, sciences humaines et sociales (ceux qu'on appelle les "littéraires") dans la médiatisation des revendications des chercheurs (notamment dans Sauvons La recherche) est peut-être due à la discrétion légendaire de ce groupe ; à la conscience d'avoir des besoins financiers moins élevés ; à leur préténdue faible "utilité" (car finalement et historiquement, ce qui a permis l'adhésion de la population aux revendications des chercheurs, c'est la parole médiatique des membres de l'INSERM et des chercheurs en physique et en biologie). Franchement, on peut toujours discuter sur la pertinence d'un partage des budgets qui lèse les uns sans pour autant satisfaire les autres... Et les besoins des chercheurs "littéraires" pourraient être sensiblement augmentés, si on était attentif à la possibilité de modernisation de leurs technologies (numérisation...) laquelle décuplerait leurs potentialités de recherche.
Les autorités cherchent peut-être à diviser les chercheurs et, à ce petit jeu, tout le monde est perdant. Ne conviendrait-il pas d'ouvrir la question et de mettre SLR dans le coup ? À une époque pré-électorale, c'est plutôt bien senti : demandons à chaque candidat ce qu'il compte faire pour la recherche et l'enseignement supérieur. Nicolas Sarkozy a déjà partiellement répondu dans le discours prononcé à Saint-Etienne le 9 novembre dernier : pour lui, il faut des universités autonomes et des chercheurs qui, comme Montagnier, puissent travailler jusqu'à 75 ans (les meilleurs d'entre eux seulement !). Ce n'est pas suffisant.
Pour rebondir sur cette idée des "universités autonomes" (financièrement, évidemment, c'est la seule chose qui compte...), regardons l'exemple de l'ENS, à la lumière de la "petite note" : à l'évidence, alors que la direction proposait des choix budgétaires douteux, le Ministère de tutelle n'a jamais reculé pour rallonger la manne financière. Dans une situation de financement par "fund raising" (ce qui n'a pas l'air de se mettre en place à l'ENS), cet effort aurait été peu probable. Quant à la question de l'indépendance d'une recherche financée par des organismes non publics, les chercheurs de SLR ont tout intérêt à y associer les "littéraires" : les domaines de la recherche "littéraire" ont en fin de compte des impacts très politiques, et il convient à tout prix de sauvegarder l'indépendance de ces recherches.
Pour conclure, le soutien des lecteurs de la bibliothèque ne doit pas obligatoirement se diriger sur un de ces domaines de revendication plutôt que sur l'autre. Soutenons les 3 niveaux de débat, et médiatisons nos désagréments et nos ambitions.
Annick Peters
MCF Histoire du Moyen Âge
A/L 93