Lettre de démission de Monsieur le Commissaire de l'exposition sur l'Ecole Normale et l'Affaire Dreyfus
Mercredi 15 novembre 2006
Madame la Directrice,
Lorsque vous m'avez demandé, en juillet dernier, de concevoir et de réaliser, avec les équipes de la bibliothèque des Lettres, avec l'Antenne graphique et avec de nombreux agents et collaborateurs de l'Ecole normale supérieure, une exposition consacrée à l'engagement des normaliens dans l'affaire Dreyfus, j'ai accepté, en dépit des délais très courts. Parce que ce sujet est essentiel à la compréhension des sociétés démocratiques et de ce qui fonde notre métier d'historien, de chercheur et d'enseignant. Parce que, pour l'Ecole, l'engagement dreyfusard, incarné par le bibliothécaire Lucien Herr, est le lieu de son unité et l'un des fondements de sa longue histoire intellectuelle et institutionnelle. Parce qu'aussi, une exposition historique permet de toucher un public large qui pourrait ainsi accéder au campus de l'Ecole et découvrir cette dernière, l'un des fleurons de la République. Et parce qu'enfin vous avez su mobiliser, pour nous aider et nous soutenir, de nombreux partenaires, dont la Bibliothèque nationale de France, le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, les Archives nationales, Le Monde, France Culture, ..... Ils nous ont beaucoup aidés. Et vous avez voulu mettre à notre disposition les moyens nécessaires pour accomplir cette tâche. Nous vous en remercions.
L'exposition est prête, nous y avons encore travaillé toute la soirée d'hier. La mission que vous m'avez confiée est réalisée. Un livre, une exposition. Vous ne pouvez que vous satisfaire de mon investissement à vous servir et à servir l'Ecole normale supérieure. Il n'a pas été toujours très facile de travailler avec vous, mais l'intérêt du projet, l'enthousiasme des équipes de l'Ens et la réputation scientifique de l'institution à laquelle j'appartiens me faisaient obligation de continuer quoiqu'il arrive. J'ai été loyal avec vous, toujours, y compris en vous avertissant longuement, patiemment, de ce qui posait problème. Ce qui n'est jamais très aisé.
Le travail est donc terminé. J'ai pris, ce matin, la décision de démissionner et de ne pas assister à l'inauguration de cet après- midi. J'ai espéré, jusqu'au dernier moment, que cette inauguration interviendrait dans un contexte d'unité de l'Ecole que vous dirigez, seul contexte possible pour rendre hommage aux archicubes de l'affaire Dreyfus, à Lucien Herr, à Elie Halévy, à Célestin Bouglé, à Emile Duclaux, à Eugénie Cotton, à des hommes et à des femmes qui ont fait l'honneur intellectuel de l'Ens, qui ont bravé tous les pouvoirs au nom d'une exigence de savoir et de vérité (avec certes quelque capital symbolique les protégeant, comme diraient nos vieux maîtres...). Hier encore, j'envisageais de faire le discours que je vous avais demandé de pouvoir prononcer.
Je renonce cependant, la mort dans l'âme, parce que l'inauguration d'une exposition à laquelle on consacre tant de temps et d'énergie est un moment exceptionnel. D'unité, d'amitié, de sentiment du devoir accompli et de la chose bien faite. Mais on ne transige pas avec les principes, avec sa conscience, c'est l'enseignement d'un Lucien Herr, d'un Gabriel Monod, d'un Duclaux. Un enseignement dans lequel nous pouvons encore nous retrouver, un siècle après l'événement. Le conflit au sein de l'Ecole normale supérieure ne me permet plus d'assister à l'inauguration d'une exposition dont le sens, désormais, se perd. Cette exposition devait être l'instrument de l'unité retrouvée. Sinon, à quoi servirait notre travail, au final ? Par ailleurs, mes collègues qui ont accepté, par amitié et sens du devoir, de participer à l'édition critique des textes des normaliens, et nos collègues agents techniques, n'ont pas été conviés à l'inauguration. Je suis bien sûr solidaire d'eux.
Je vous souhaite néanmoins, Madame la Directrice, une belle inauguration. Je vous l'ai présentée, vous la connaissez bien désormais. Tout est prêt. J'ai fait tout pour que cela soit ainsi.
Je vous prie de croire en mes sentiments les meilleurs.
Vincent Duclert
NB. J'adresse cette lettre à l'équipe qui a réalisé avec moi le livre et l'exposition, pour les informer de ma décision, ce qui est légitime. Je rendrai mon badge à Mme Meston de Ren et je réglerai avec Mme Françoise Dauphragne les ultimes détails et lui remettrai les derniers livres de la Bibliothèque en ma possession.
Madame la Directrice,
Lorsque vous m'avez demandé, en juillet dernier, de concevoir et de réaliser, avec les équipes de la bibliothèque des Lettres, avec l'Antenne graphique et avec de nombreux agents et collaborateurs de l'Ecole normale supérieure, une exposition consacrée à l'engagement des normaliens dans l'affaire Dreyfus, j'ai accepté, en dépit des délais très courts. Parce que ce sujet est essentiel à la compréhension des sociétés démocratiques et de ce qui fonde notre métier d'historien, de chercheur et d'enseignant. Parce que, pour l'Ecole, l'engagement dreyfusard, incarné par le bibliothécaire Lucien Herr, est le lieu de son unité et l'un des fondements de sa longue histoire intellectuelle et institutionnelle. Parce qu'aussi, une exposition historique permet de toucher un public large qui pourrait ainsi accéder au campus de l'Ecole et découvrir cette dernière, l'un des fleurons de la République. Et parce qu'enfin vous avez su mobiliser, pour nous aider et nous soutenir, de nombreux partenaires, dont la Bibliothèque nationale de France, le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme, les Archives nationales, Le Monde, France Culture, ..... Ils nous ont beaucoup aidés. Et vous avez voulu mettre à notre disposition les moyens nécessaires pour accomplir cette tâche. Nous vous en remercions.
L'exposition est prête, nous y avons encore travaillé toute la soirée d'hier. La mission que vous m'avez confiée est réalisée. Un livre, une exposition. Vous ne pouvez que vous satisfaire de mon investissement à vous servir et à servir l'Ecole normale supérieure. Il n'a pas été toujours très facile de travailler avec vous, mais l'intérêt du projet, l'enthousiasme des équipes de l'Ens et la réputation scientifique de l'institution à laquelle j'appartiens me faisaient obligation de continuer quoiqu'il arrive. J'ai été loyal avec vous, toujours, y compris en vous avertissant longuement, patiemment, de ce qui posait problème. Ce qui n'est jamais très aisé.
Le travail est donc terminé. J'ai pris, ce matin, la décision de démissionner et de ne pas assister à l'inauguration de cet après- midi. J'ai espéré, jusqu'au dernier moment, que cette inauguration interviendrait dans un contexte d'unité de l'Ecole que vous dirigez, seul contexte possible pour rendre hommage aux archicubes de l'affaire Dreyfus, à Lucien Herr, à Elie Halévy, à Célestin Bouglé, à Emile Duclaux, à Eugénie Cotton, à des hommes et à des femmes qui ont fait l'honneur intellectuel de l'Ens, qui ont bravé tous les pouvoirs au nom d'une exigence de savoir et de vérité (avec certes quelque capital symbolique les protégeant, comme diraient nos vieux maîtres...). Hier encore, j'envisageais de faire le discours que je vous avais demandé de pouvoir prononcer.
Je renonce cependant, la mort dans l'âme, parce que l'inauguration d'une exposition à laquelle on consacre tant de temps et d'énergie est un moment exceptionnel. D'unité, d'amitié, de sentiment du devoir accompli et de la chose bien faite. Mais on ne transige pas avec les principes, avec sa conscience, c'est l'enseignement d'un Lucien Herr, d'un Gabriel Monod, d'un Duclaux. Un enseignement dans lequel nous pouvons encore nous retrouver, un siècle après l'événement. Le conflit au sein de l'Ecole normale supérieure ne me permet plus d'assister à l'inauguration d'une exposition dont le sens, désormais, se perd. Cette exposition devait être l'instrument de l'unité retrouvée. Sinon, à quoi servirait notre travail, au final ? Par ailleurs, mes collègues qui ont accepté, par amitié et sens du devoir, de participer à l'édition critique des textes des normaliens, et nos collègues agents techniques, n'ont pas été conviés à l'inauguration. Je suis bien sûr solidaire d'eux.
Je vous souhaite néanmoins, Madame la Directrice, une belle inauguration. Je vous l'ai présentée, vous la connaissez bien désormais. Tout est prêt. J'ai fait tout pour que cela soit ainsi.
Je vous prie de croire en mes sentiments les meilleurs.
Vincent Duclert
NB. J'adresse cette lettre à l'équipe qui a réalisé avec moi le livre et l'exposition, pour les informer de ma décision, ce qui est légitime. Je rendrai mon badge à Mme Meston de Ren et je réglerai avec Mme Françoise Dauphragne les ultimes détails et lui remettrai les derniers livres de la Bibliothèque en ma possession.